Prologueo

Les repères sont des lieux de rencontre. Il peut s’agir d’éléments du paysage – un arbre, une montagne, un cours d’eau, un rocher – ou d’un environnement construit. Le territoire est marqué par le temps, les éléments du milieu naturel et le mode de vie des animaux et des êtres humains. Les repères délimitent des frontières et font écho à de multiples histoires, récits et croyances. Ils façonnent notre mémoire collective. Les repères sont un virage qui amène un changement et un héritage laissé aux générations futures. Ils nous permettent de trouver notre chemin. Poser des repères, c’est agir.

Repères2017/LandMarks2017 consiste en une série de projets collaboratifs en art contemporain présentés dans divers parcs nationaux du Canada à l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération en 2017. Cet anniversaire nous permet de réfléchir à un territoire bien plus vieux que 150 ans et d’aborder par le fait même l’héritage du colonialisme, la relation complexe entre le concept de nationalité et celui de l’identité culturelle, ainsi que notre rapport à la nature dans le contexte des crises environnementale et climatique actuelles. Repères se sert de l’art comme catalyseur de discussions et de changement social, etoffre une occasion d’imaginer, d’envisager et d’inventer de possibles futurs grâce au regard d’artistes, d’étudiants en art et de diverses communautés, ainsi qu’à l’esprit de la terre.

Nous sommes conscients de la place unique que nous occupons dans le monde – une population d’une formidable diversité culturelle qui s’étend sur un territoire immense de près de 10 millions de kilomètres carrés où l’on parle plus de 200 langues. Repères2017 exprime une multitude de points de vue et mise sur la différence plutôt que sur une identité nationale homogène comme point de départ. Nous reconnaissons le rôle fondateur des peuples autochtones et de leur rapport à la nature. Le territoire, le sentiment d’appartenance, les langues et les cultures découlant de notre interdépendance avec la terre sont au cœur de notre histoire partagée.

Repères2017 constitue une tribune pour la collaboration, le partage des connaissances, l’échange de points de vue différents, les méthodes autochtones et l’adoption de nouvelles approches grâce à un programme d’études en art déployé dans diverses universités à la grandeur du pays. Repères2017 est une plateforme numérique interactive qui favorise la circulation d’idées, mise en œuvre par des artistes et des étudiants en art afin d’établir un réseau de discussions sur les notions de lieu, d’environnement et de construction identitaire.

Repères2017 cherche à mobiliser et à dynamiser les communautés en sortant l’art contemporain des galeries pour l’intégrer à des sites naturels et des réseaux numériques.

Déclaration commissaires commune par: David Diviney, Natalia Lebedinskaia, Véronique Leblanc, Ariella Pahlke, Kathleen Ritter, Melinda Spooner & Tania Willard.

Épilogue

Qu’est-ce que cela veut dire pour une équipe de commissaires en art contemporain de travailler à un projet collaboratif d’envergure nationale, créé afin de susciter des échanges au sujet des peuples, des lieux et des perspectives qui ont façonné les 150 ans de l’aventure coloniale du Canada? Voyons d’abord ce que ce projet n’est pas afin de mieux cerner ce qu’il est.

Ce n’est pas une fête. Il n’y a ni gâteau ni bougies. Il s’agit plutôt d’une réflexion profonde menée par des artistes, des commissaires et des collectivités sur le meilleur et le pire des 150 dernières années. Et combien de zéros devrait-on ajouter si on prenait en compte l’histoire autochtone, le temps géologique et les anneaux de croissance des arbres?

Ce projet n’est pas simple. Il comporte plusieurs strates. Il est à la fois complexe, politique, festif, responsabilisant, contradictoire et novateur. Plus que des artistes qu’on invite à créer des objets, ce projet collectif et dynamique invite au dialogue, à l’échange ainsi qu’à un engagement profond à explorer les liens et l’interdépendance à la terre, aux territoires autochtones et aux diverses communautés et cultures.

Tout projet significatif ayant pour but de souligner le 150e anniversaire du Canada est forcément complexe, multiforme et non consensuel. Au moment d’aborder cet événement controversé, nous avons convenu collectivement de nous inspirer des épistémologies autochtones, où le temps est profond, la terre, centrale, et la question des droits, irrésolue. Nous avons souhaité travailler avec des artistes contemporains dont les pratiques remettent en question les récits dominants, mobilisent les communautés et favorisent une meilleure connaissance de régions exceptionnelles dans tout le Canada; des artistes qui vivent ces questions dans leur pratique et dans leur conscience. Ces artistes proposent de dépasser les récits officiels sur l’origine du pays il y a 150 ans au profit de faits moins connus et d’histoires non linéaires qui permettent de nous lier plus étroitement au territoire et à ses voix multiples.

Cent cinquante ans, c’est court. Découverts tout juste au sud du village gwitchin d’Old Crow, où le projet Being Skidoo (Être Skidoo) de l’artiste Jeneen Frei Njootli a été filmé, des ossements de mammouth comportant des marques laissent croire que l’île de la Tortue était habitée par les premiers humains il y a plus de 28 000 ans, soit 10 000 ans plus tôt qu’on le pensait (ce que maintient la tradition orale autochtone depuis toujours). Pour donner une meilleure idée de ce que cela représente, disons que si on ramenait la culture autochtone du continent à une durée de 24 heures, la Confédération canadienne en occuperait un peu plus des sept dernières minutes.

Les dix projets réalisés sur une période d’un an dans le cadre de l’événement Repères2017/LandMarks2017 reconnaissent l’importance de ce décalage – l’énorme écart temporel entre les visions autochtone et coloniale du monde, ainsi qu’entre le temps linéaire de l’histoire écrite et la complexité cyclique et stratifiée de la mémoire orale, si souvent reliée au territoire. Nous avons souhaité étirer le temps dans les deux directions et créer des moments de connexion entre les diverses façons d’appréhender la terre et le temps – dans le passé qui s’étend bien au-delà de 150 ans, dans le moment présent et dans les générations à venir. En tant que commissaires du projet, notre point de départ a été de décentrer et de disséminer la géographie de l’île de la Tortue et le message véhiculé par Canada 150. La diversité du territoire a permis aux œuvres créées pour l’occasion de se déployer dans des régions et des communautés très différentes : des localités rurales, des terres gérées par les Autochtones, des milieux sauvages, des parcs nationaux et des sites historiques.

Ensemble, les projets de Repères2017/LandMarks2017 revisitent les discours dominants et réintroduisent des récits plus inclusifs. Ils proposent divers croisements entre le corps et le territoire, que ce soit par l’entremise de l’œuvre elle-même ou de l’artiste, qui occupe et dans certains cas devient la terre. Les histoires familiales et personnelles constituent un terreau fertile pour réfléchir aux croisements entre diverses identités. Ils habitent la terre, initient des mouvements et cherchent à faire cohabiter différentes temporalités. Ils veillent sur les sites et les enrichissent, aussi bien sur le plan concret que symbolique. Ils considèrent la nature – l’eau, les plantes et les animaux, tant ailés que nageurs – comme leur interlocutrice. Ils favorisent une expérience sensorielle de la terre. Ils se présentent à nous comme le fruit de collaborations plutôt que comme des œuvres individuelles, éphémères plutôt que monumentaux, et axés sur le processus plutôt que sur le résultat. Ils rappellent l’importance de l’humilité face à la nature et aux communautés, mais aussi le caractère circonstanciel et partisan de l’écriture de l’histoire, qui peut être remise en question par différentes formes d’engagement social. Discrètes, subversives, accessibles et porteuses de réflexion, les œuvres réalisées sont d’une grande richesse par le réseau de questions qu’elles tissent sur les plans conceptuel, thématique et esthétique.

Les enjeux soulevés par Repères2017/LandMarks2017 ont été intégrées aux programmes d’études de seize universités situées dans plusieurs provinces, créant ainsi une tribune pour le partage des connaissances, l’échange de perspectives différentes, les épistémologies autochtones et de nouveaux cadres d’apprentissage. Grâce à ces cours inédits, les professeurs et les étudiants ont pu poursuivre dans l’espace public et dans des parcs et des sites historiques nationaux des projets conceptuels et collaboratifs développés en classe. Cette plateforme unique d’apprentissage expérientiel a permis de faire découvrir au public les nombreux talents des artistes de la relève.

Les projets des artistes, les cours universitaires et les collaborations se sont également étendus aux collectivités avoisinantes. Prenant place tantôt dans des centres urbains, tantôt dans des localités rurales, Repères2017/LandMarks2017 a servi de relais entre les communautés et l’art contemporain en dehors des cadres de présentation et de réception habituels. En marge des lieux traditionnellement fréquentés par un public accoutumé au langage visuel de l’art contemporain, les projets ont pu rejoindre et interpeller de nombreuses personnes de manière complètement différente. Le partage des ressources, des lieux et des connaissances a permis de tisser des liens et de collaborer avec des artistes, des créateurs, des gens d’affaires, des éducateurs et des habitants des diverses localités. Repères2017/LandMarks2017 a favorisé et généré de nouvelles façons d’apprendre au moyen de la réciprocité et de l’engagement, démontrant ainsi le potentiel transformateur de l’art contemporain grâce au dialogue qu’il permet auprès d’un large public, et ce, bien au-delà de son contexte immédiat, pour engendrer un héritage durable.

Repères2017/LandMarks2017 pose des questions complexes et pressantes : que peut-on apprendre de la présence de sang de caribou sur les rochers d’un cours d’eau séculaire? Comment sommes-nous redevables pour nos expériences sur les terres autochtones et au sein de communautés diverses? Comment traiter l’injustice à l’égard des Autochtones et aborder l’avenir tout en faisant preuve de justice à l’égard des réfugiés et des immigrants, des personnes de genres non binaires, des diverses cultures et croyances? Quel rapport entretenons-nous avec le territoire d’un autre sans le fardeau de l’histoire coloniale qui « reconfigure » l’appartenance? Comment redonner à la terre? Ces questions ne sont que quelques exemples.

Ce Kanata est fait de strates et de contradictions. L’important est peut-être moins de chercher des réponses concrètes que de se concentrer sur ce qui nous relie à la terre: ses veines, ses rivières et affluents, son souffle, le vent, nos corps et la circulation de l’eau. Grâce à cet échange, nous pouvons commencer à revoir notre relation à la terre et aux autres. Ce qui nous ramène à notre point de départ, à ce qu’est Repères2017/LandMarks2017 et à ce qui compte vraiment : la terre, le temps, la communauté, la famille, l’écologie et la façon dont nous communiquons, collaborons, touchons et enseignons, et dont nous repérons ensemble ce qui nous relie tous.

RENCONTRE AVEC LES COMMISSAIRES

David Diviney, Ariella Pahlke, et Melinda Spooner (a.k.a. ACT)

David Diviney, Ariella Pahlke, and Melinda Spooner (a.k.a. ACT)

David Diviney, Ariella Pahlke et Melinda Spooner (ACT) composent l’équipe de commissaires des provinces de l’Atlantique.

David Diviney occupe actuellement le poste de conservateur de l’art moderne et contemporain au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, à Halifax. Ariella Pahlke est documentariste indépendante, artiste médiatique, conservatrice et éducatrice. Melinda Spooner est une artiste-chercheure socialement engagée et chargée de cours à l’Université NSCAD. En tant que collectif de commissaires, ils privilégient une approche globale orientée sur l’histoire locale, le milieu naturel et l’héritage culturel. Leurs projets participatifs axés sur les notions de durabilité et de renforcement communautaire cherchent à développer un sentiment d’appartenance aux lieux et une sensibilité écologique au sein de la population.

PROJET COMMISSARIÉ : (ré)attribution
Artiste : Ursula Johnson

Véronique LeBlanc

Véronique LeBlanc

Véronique Leblanc est une commissaire indépendante, auteure et chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal.

Elle s’intéresse aux pratiques contextuelles ainsi qu’aux liens entre l’art, l’éthique et la politique. Parmi ses projets d’exposition récents, mentionnons Richard Ibghy & Marilou Lemmens. La vie mise au travail (Galerie Leonard & Bina Ellen Art, Montréal, 2016), Polyphonies (Optica, Montréal, 2015) et faire avec (AdMare, îles de la Madeleine, 2013). Détentrice d’une maîtrise en histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, Leblanc s’est vu décerner le Prix John R. Porter de la Fondation du Musée national des beaux-arts du Québec en 2015, ainsi que le Canadian Art Writing Prize en 2011.

PROJET COMMISSARIÉ : Subsistances
Artiste : Raphaëlle de Groot

PROJET COMMISSARIÉ : Le flâneur : (re)marquer
Artiste : Douglas Scholes

Natalia Lebedinskaia

Natalia Lebedinskaia

Natalia Lebedinskaia occupe actuellement le poste de conservatrice de l’art contemporain à l’Art Gallery of Southwestern Manitoba à Brandon, au Manitoba.

Depuis son entrée en fonction en 2011, elle a réalisé divers projets et expositions, notamment avec les artistes David McMillan, Greg Staats, Kevin Conlin, Jillian McDonald et Peter Morin. Titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art et d’un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Concordia, elle compte également à son actif des stages au Banff Centre. Ses recherches se concentrent sur la négociation des mémoires personnelle et collective dans l’espace public. Son approche, en tant que commissaire, vise à constituer des communautés, à la fois éphémères et durables, au moyen d’expositions et d’autres activités.

PROJET COMMISSARIÉ : Coalescence
Artiste : Michael Belmore

Kathleen Ritter

Kathleen Ritter

Kathleen Ritter est une artiste et auteure basée à Vancouver et à Paris.

Elle a été artiste en résidence à la Cité internationale des arts de Paris en 2013. Sa pratique artistique explore la notion de visibilité, particulièrement par rapport aux systèmes de pouvoir, au langage et à la technologie. Ritter a été conservatrice adjointe à la Vancouver Art Gallery jusqu’en 2012, où elle a réalisé les expositions Beat Nation : Art, hip-hop et culture autochtone (en collaboration avec Tania Willard); How Soon Is Now et Rebecca Belmore: Rising to the Occasion (avec Daina Augaitis). Elle a également donné des conférences et écrit sur le travail de divers artistes sur la scène nationale et internationale. Ses textes sont publiés dans de nombreux catalogues et magazines, dont ESSE, Open Letter, C Magazine, Prefix Photo et Fillip.

PROJET COMMISSARIÉ : Onde Sonore
Artiste : Rebecca Belmore

PROJET COMMISSARIÉ : Regarder-au-loin
Artiste : Jin-me Yoon

PROJET COMMISSARIÉ : Voix entrelacées
Artiste : Chris Clarke et Bo Yeung

tania Willard

tania Willard

Membre de la nation secwepemc, Tania Willard s’intéresse à l’évolution des notions de tradition et de contemporanéité. Ses travaux reposent souvent sur des savoirs et des compétences qui entretiennent un lien conceptuel avec son intérêt pour les croisements entre les cultures autochtones et non autochtones.

Willard a été commissaire autochtone en résidence à la Kamloops Art Gallery et à la grunt gallery. Elle a notamment mis sur pied l’exposition itinérante Beat Nation : Art, hip-hop et culture autochtone (en collaboration avec Kathleen Ritter) à la Vancouver Art Gallery. En 2016, Willard a reçu le Prix d’excellence de la Fondation Hnatyshyn pour le commissariat en art contemporain. Parmi ses récents projets de commissariat, mentionnons Unceded Territories: Lawrence Paul Yuxweluptun; Nanitch: Historical BC photography; une collaboration avec la BUSH gallery; et l’événement à venir Repères2017/LandMarks2017.

PROJET COMMISSARIÉ : Être Skidoo
Artist: Jeneen Frei Njootli

PROJET COMMISSARIÉ : Broder mon paysage
Artiste : Maureen Gruben

PROJET COMMISSARIÉ : Voix multiples : Villa-Bellevue

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