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Judith Mestokosho (dir.), Akua-Nutin. Nutshimiu-aimuna, Sept-Îles, Les Éditions Tshakapesh, 2015.
Sentier à Rivière-Saint-Jean
Route 138, entre Baie-Johan-Beetz et Aguanish.
Barrage hydroélectrique La Romaine
« Dans la dernière année, ils ont amorcé la mise en eau, donc le barrage était complété, les digues d’évacuation de crues aussi, alors on a bloqué la rivière pour remplir le réservoir. En l’espace de quelques jours, on a vu des pointes de terre, des collines puis des montagnes devenir des îles, puis disparaître. Quand tu vois ça, à quelques milliers de pieds d’altitude, tu te rends compte que l’être humain est puissant dans ses désirs de développement. Mais tu n’oublies pas non plus que le périmètre que tu viens de voir inondé depuis une semaine comprenait deux ou trois sites qu’on n’a pas pu fouiller au complet; il comprenait certainement des sépultures et d’autres choses qu’on ne saura jamais. Alors t’imagines si on faisait des travaux d’une envergure semblable en Normandie, en Bretagne ou dans les banlieues de Manchester : inonder le patrimoine comme ça serait impensable, mais apparemment qu’ici, y’a des entreprises qui ont ce pouvoir divin-là. Ça fait réfléchir. »
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Fouille archéologique
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Natashquan
Longue-Pointe-de-Mingan
Baie-Johan-Beetz
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Étymologiquement, ushkâtiâpî peut se décomposer ainsi : ushkât (jambe) + -i- (liaison) + -âpî (filiforme), ce qui donne littéralement ‘la jambe filiforme’. Donc, la racine équivaut à « la jambe » de la plante mais la même racine implique également un support à partir duquel l’apparition d’un nouvel individu est possible : « C’est la racine qui produit ushtshishk [pin gris] ; ce sont les racines qui s’allongent sous la terre puis il sort un arbre là-bas… La racine alors continue et il ressort un autre arbre à l’autre bout. La preuve que ushtshishk [pin gris] se reproduit comme ça, c’est qu’avant, il n’y en avait pas beaucoup d’ushtshishk [pin gris]. Il y en avait juste un petit peu du côté du chemin et maintenant, il y en a partout, là, ensemble, un à côté de l’autre.
Daniel Clément, La terre qui pousse. L’ethnobotanique innue d’Ekuanitshit, 2014.
« La noblesse réservait des terrains de chasse, alors que la façon de vivre des Canadiens et des Américains était celle d’un espace encore libre à la découverte, libre à la chasse, libre à la pêche, qui ne correspondait pas aux clivages – les nobles chassaient à tel endroit, on travaillait pour les nobles, on ne pouvait pas chasser n’importe où. Tandis qu’au Canada, on avait l’idée du coureur des bois, des découvreurs, des gens qui parcourent le pays pour eux-mêmes, qui s’associent aux groupes autochtones, des fois comme traducteurs, échangeurs, trafiquants au niveau des fourrures ou autre chose. »
Barrage hydroélectrique La Romaine
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
M. Paquet (Daniel) : Oui, M. Chevrette, même si ça a été très judiciarisé depuis 1973 la question autochtone, les gens que j’ai rencontrés, moi, sur le terrain, sur la Côte-Nord et au Saguenay sont très, très inquiets en ce qui concerne l’indivisibilité du Québec entre autres. Dans les innuaties, il y a 522 km2. Ça va être des terres indiennes où les Innus vont avoir le plein contrôle. Advenant une scission du Québec qu’est-ce qui arrive avec ces terres-là ?
M. Chevrette (Guy) : Ça fait la deuxième fois que la question m’est posée. C’est la partition du territoire, à toutes fins pratiques, que vous me posez comme question. On fera une séance spéciale avec des gens… les juristes, mais moi, la réponse qu’on me donne, parce que, vous comprendrez que je me suis préparé aussi un peu avant de prendre le public, je dois vous dire qu’actuellement, ce sont des terres fédérales et s’il y avait un référendum québécois puis ce soit un Oui, le fédéral n’est pas lié d’aucune façon avec nous. Alors que si on a un traité puis il y a des ententes de réciprocité et tout, on me dit que c’est beaucoup plus sécuritaire pour le Québec d’avoir un traité avec ces Innus sur son territoire que d’avoir des terres qui appartiennent au fédéral.
Mais, sur le plan juridique pur, là, je pourrai avoir un juriste qui pourrait vous rencontrer si vous avez besoin de questions aussi pointues sur les droits ancestraux, sur le droit… le titre aborigène ou sur d’autres questions très légales, là, pointues, on est prêt à organiser des séances même à Québec et à Montréal. Je le répète, c’est une question nationale quand même, ça.
Conférence de presse de M. Rémy Trudel, ministre responsable des Affaires autochtones, et de M. Guy Chevrette, mandataire spécial du gouvernement du Québec sur le projet d’entente de principe avec les Innus : Principaux enjeux et objectifs de la tournée régionale sur la Côte-Nord et au Saguenay–Lac-Saint-Jean, 17 octobre 2002.
La clintonie boréale
Photo : Parcs Canada/N. Dénommée
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Havre-Saint-Pierre
La Grande Pointe
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« On voit souvent la nature d’un oeil romantique. Nous la trouvons belle. Mais quand tu te ramasses dans la nature vraiment, finalement tu te rends compte que c’est pas romantique. La nature n’est pas là pour se faire dessiner. Elle n’est pas là pour qu’on aille se reposer […]. On la perçoit souvent comme ça. Ça m’est arrivé de partir en nature et il y avait juste trop de mouches. Tu t’assois, il y a des fourmis et elles te mordent le dos. Ou tu dois faire attention parce qu’il peut y avoir un ours qui te surprend par derrière. Dans la relation que nous avons avec la nature, nous la trouvons belle et ça nous fait du bien; mais elle, ça ne lui fait pas du bien qu’on la trouve belle. Il n’y a pas de miroir. »
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Le silène acaule
Photo : Parcs Canada/M.A. Vaillancourt
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« La lande, c’est des dépôts. Elle réfère à l’histoire des îles de l’archipel qui ont été soulevées de la mer, la roche calcaire qui a émergé de l’eau. Toutes les falaises, tous les monolithes qu’on retrouve… Les falaises ont été fragmentées et on retrouve des dépôts de roche calcaire; les falaises ont été comme sculptées. Ça se dépose parterre. La lande, ces dépôts-là, c’est de la roche calcaire fragmentée, juste des morceaux de cailloux. Lorsque les îles ont monté et que l’eau s’est retirée de plus en plus bas, il s’est formé des levées de plage, comme des grandes ondes. Ce sont les ondulations qu’on observe dans la lande. Ce sont les niveaux successifs de la mer qui apparaissent sous nos yeux. C’est immense comme histoire, une histoire de milliers d’années; les îles se sont relevées il y a à peu près 12 000 ans
[…]Le calcaire qui forme les monolithes vient d’un concentré de petites particules d’organismes qui ont déjà été sur la terre et qui se sont déposées (leurs coquilles) pour graduellement former de la roche il y a 400 à 500 millions d’années. C’est un peu comme un livre. Des géologues nous ont rendu visite. Ils regardaient la roche et pouvaient dire selon telle partie, ce qu’il y avait eu avant, par exemple des dunes de sable. Simplement à partir de la façon dont la roche est faite, ils peuvent dire quel organisme a donné ces dunes. Ils lisent la roche devant toi. »
Route 138, entre Baie-Johan-Beetz et Aguanish
Sentier Quétachou
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« On ne cherche pas à savoir comment vous viviez, vous, les Blancs, tandis que vous, vous voulez tout savoir. Comment on tue le gibier ou comment on parle, même comment on vit, même comment quelqu’un dort. Vous voulez tout posséder. »
Antoine Malec, témoignage issu du documentaire La conquête de l’Amérique par Arthur Lamothe, ONF, 1992.
Lawrence Allison et Judith Grenon (dir.), Origine et formation de la toponymie de l’archipel de Mingan, Commission de toponymie, 1981.
Lawrence Allison et Judith Grenon (dir.), Origine et formation de la toponymie de l’archipel de Mingan, Commission de toponymie, 1981.
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« Malheureusement, cette vision-là on l’a déjà eue au Québec, la vision que les Autochtones font partie de notre identité, mais on a perdu ça. Pour le Québécois moyen, un Indien – pour utiliser les termes d’une autre époque –, c’est devenu comme du bruit dans le système, un grain de sable dans l’engrenage; c’est presque un vestige qui ne doit pas être. Pour répondre à ta question, comment faire autrement : est-ce que c’est de pouvoir décréter une véritable autonomie gouvernementale ? Ça fait des décennies que certaines communautés, certaines nations y travaillent. On n’est pas à la veille d’une concrétisation de tout ça. C’est une toile d’araignée socio-politico-économique qui est difficile à percer. Mais ce qui m’encourage, c’est de voir de plus en plus d’Innus – je parle des Innus parce qu’ils sont plus près, mais je suis convaincu que dans les autres communautés c’est probablement le même pattern –, c’est de voir de plus en plus d’Autochtones revenir chez eux équipés de diplômes universitaires, d’expériences, d’une attitude, d’une confiance, d’une volonté forte d’améliorer le sort de leurs communautés respectives. Ça, dans ma courte existence, je le sens, je le réalise. J’enseigne au cégep de temps en temps, et y’a un potentiel extraordinaire dans nos classes. Ça c’est motivant. »
La Grande Pointe
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Pour les Innus, l’idée d’apparition séquentielle des éléments de la nature est aussi associée dans les mythes d’origine à celle d’un équilibre parfait de la nature.
« […] dans ce temps-là, les humains étaient bien chanceux, ils n’avaient qu’à fendre les arbres qui étaient bien droits; ils n’avaient pas besoin de les choisir. » (entrevue no 3, 15-06-81)
Mais cette harmonie passée eut également selon la conception innue sa contrepartie : une faute originelle qui entraîna des difficultés dans le quotidien. Toutefois, les Autochtones, loin de se culpabiliser quant à leur sort – ils ne s’attribuèrent pas cette faute comme les Occidentaux le firent par l’entremise d’Adam et de Ève –, inventèrent un coupable étranger des leurs. C’est Carcajou, le trickster innu, à la fois gauche et intelligent, bête et méchant, qui fut donc rendu responsable universel de tous les maux qui les accablent :
« Carcajou les a tordus les arbres rien que pour faire du mal. » (entrevue no 3, 15-06-81)
Cette réflexion d’un informateur d’Ekuanitshit se réfère en fait à l’épisode suivant du mythe de Carcajou :
« La tête enveloppée dans la toile car il avait été arrosé par une mouffette, Carcajou se mit à descendre vers la mer. Plus il descendait, plus il grossissait. Puis, à chaque fois qu’il arrivait devant un arbre, il lui demandait quelle sorte d’arbre que c’était. Parce qu’à chaque fois qu’il heurtait un arbre – il ne voyait rien – il lui demandait son nom. Puis l’arbre répondait. Le premier qu’il a rencontré, c’est uâtshinâkan [mélèze]. Alors Carcajou l’a tordu puis l’a déchiré ; il formait des branches, puis il tordait encore les branches. Et Carcajou ajoutait que les mélèzes allaient continuer à pousser ainsi. Après, il a rencontré minaiku [épinette blanche] et il lui a fait la même chose. Et il a rencontré encore ushkâtuku [épinette noire], innâsht [sapin] et uâshkuai [bouleau blanc] et il leur a encore fait la même chose. Puis il a vu mîtûsh [tremble] : c’est le seul arbre qu’il n’a pas touché parce que c’est le seul arbre qu’on n’utilise pas, qui est bon à rien ; il a juste fait sortir les branches en arrachant un peu d’écorce. Après ça, il est arrivé au bord de la mer. Il s’est rincé la bouche. La légende raconte que la mer n’était pas salée avant. Là, avec sa salive, il l’a salée. Il s’est aussi débarrassé de ses guenilles dans la mer, en se lavant : c’est pour ça que maintenant, dans la mer, il y a des shâshâpina [algue]. » (entrevue no 3, l5-06-81)
Daniel Clément, La terre qui pousse. L’ethnobotanique innue d’Ekuanitshit, 2014.
Photo : Véronique Leblanc
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« Je l’ai appelée la déesse des graines rouges et je lui ai demandé : “C’est quoi en innu déjà le mot pour les graines rouges ?” Elle dit que c’est tel mot. J’ai dit : “Qu’est-ce que ça veut dire ? ” Elle a répondu : “Ça veut dire petit fruit sûrette, petit fruit au goût sûr.” Oui, ça décrit bien ça. Pour certains, c’est des pommes de terres, pour d’autres, c’est des graines rouges, pour d’autres c’est des berries. Y’a une île en face de Trois-Pistoles dans le Bas-Saint-Laurent qu’on appelle l’Île aux Pommes. Y’a aucun pommier qui pousse là; c’est les pommes de terres, les graines rouges. Chez les anciens de Longue-Pointe-de-Mingan, y’en a qui parlent de pommes de terre. Ils parlent aussi de graines rouges. Tandis que les Cayens, ils parlent de berries. »
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« Quand les ancêtres des Paspéyas ou des Macaquins viennent s’installer en Minganie–Basse-Côte-Nord, ils se retrouvent sur un territoire plus ou moins connu. Ils connaissaient bien les grands bancs de pêche parce que depuis nombre d’années, eux ou leurs parents venaient pêcher pour les compagnies de la Gaspésie ou des Îles de la Madeleine, mais l’intérieur des terres, c’était à peu près inconnu, le Nitassinan, c’est terra incognita. Quand le peuplement s’amorce, on est dans les années 1850 à 1870, mais ces descendants gaspésiens ou des Îles de la Madeleine vont se faire un peu Innus eux-mêmes. Le territoire qu’ils viennent d’adopter est parcouru et apprivoisé depuis des millénaires par les Innus. Il va se créer des liens très forts. Il y a 100 ans, dans ces villages-là, y’a ben des Blancs qui parlent innu, ça c’est clair et net. Même plus récemment ici au village de Moisie, dans les années 1950, les gens se comprenaient très bien en innu. L’ouverture du territoire se fait nécessairement par les Innus. L’adoption de pratiques culturelles de prédation, de trappe, de chasse, de pêche, faut que ça passe par les Innus. Y’a eu un copinage positif de ces deux groupes-là. Les échanges vont dans l’autre sens aussi. »
Sentier Quétachou
« Le cas de l’ombre : s’il n’y avait pas les arbres, il n’y aurait pas la mousse en dessous. Le fait d’avoir un ombrage – une atmosphère plus humide, plus fraîche – permet d’avoir ces grands couverts de mousse, et ainsi tout un cortège de plantes. Parfois, un seul individu permet une plus grande biodiversité. Ce sont les effets positifs entre les plantes. »
Sentier Quétachou
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« Qui peut s’arroger le droit de barrer une route en territoire indien ? Le Blanc veut nous interdire l’accès à notre propre pays. Comment pourrait-il ? En pays étranger, on ne touche à rien, nous. Ce serait peine perdue de demander si je risque d’être puni. Ne craignez rien. On ne peut pas vous punir. C’est notre pays. Ils vont tenter d’effrayer tous les Indiens. Tous, tous ! “On vient te tuer !”, qu’ils diront. Voici ma hache. Je l’ai toujours avec moi. Comme mon fusil. N’ayez crainte, je ne tuerai personne. On ne nous a jamais enseigné à tuer un être humain. On nous l’a toujours défendu. Il n’y a que l’animal qu’on nous permettait de tuer. Le Blanc ne pourra jamais nous interdire de tuer les animaux. Il ne pourra pas nous imposer ses catégories. »
Antoine Malec, témoignage issu du documentaire La conquête de l’Amérique par Arthur Lamothe, ONF, 1992.
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« Il y a certaines espèces qu’on appelle “clés de voûte” qui sont essentielles à l’écosystème. Si elles venaient à disparaître, ça aurait un effet cascade sur une grande partie de l’écosystème, ce qui changerait complètement son statut et son visage.
Ce n’est pas le cas du chardon de Mingan. C’est une plante rare. Elle ne va pas, par exemple, stabiliser les côtes. Elle a aussi une grande valeur patrimoniale. Le chardon de Mingan a été découvert par le frère Marie-Victorin. On rentre dans le culturel; c’est un emblème pour le parc, pour les habitants de la Minganie aussi. C’est un chardon folklorique. […] Voilà ce qu’on sait : si on perd cette population-là, on ne perdra pas la communauté végétale des côtes de l’archipel. Par contre, on perdrait un emblème culturel, on perdrait une population de cette espèce au Québec. C’est pas évident. Ce n’est pas une décision objective qui va être prise, ce qui est souvent le cas en biologie de la conservation. Qu’est-ce qui fait qu’on veuille sauver un éléphant plutôt qu’un rhinocéros ? Ce sont souvent des décisions subjectives basées sur des valeurs humaines. Pourquoi est-ce qu’on voudrait conserver la rainette faux-grillon plutôt qu’un autre insecte qui disparaît, que personne ne connaît sauf deux spécialistes, et dont personne n’a rien à faire ? »
Chardon de Mingan
Photo : Parcs Canada/P. Vaillancourt
« Quand le glacier occupait sur une bonne partie de l’Amérique du Nord, il y avait à proximité une zone sans trop de végétation où, à un certain moment, il y a eu des plantes adaptées au froid qui ont poussé – une longue bande devant le glacier. Au fur et à mesure que le glacier s’est retiré, cette bande a suivi. Il y a certains endroits, plus au sud, qui ont servi de “radeau de sauvetage”, si on veut, et qui ont permis de maintenir certaines populations isolées, bien au-delà d’où elles vivent maintenant. Leur aire de distribution a reculé puis, en reculant, il y a certaines populations qui ont réussi à survivre plus au sud. »
Ayasheo avait un fils nommé Ayashish. Il l’emmena un jour dans une île au large, sous prétexte que l’enfant l’aiderait à y ramasser quelques oeufs. Prétendant que les oeufs ramassés par Ayashish étaient trop gros, son père lui proposa d’aller de l’autre côté de l’île pour en trouver de plus petits. Quand l’enfant eut disparu, Ayasheo sauta dans son canot et s’éloigna. Décidant de revenir vers son père, Ayashish l’aperçut sur la mer. « Mon père, lui cria-t-il, tu m’abandonnes ! » Ayasheo n’en regagna pas moins la terre ferme. Quand il fut sur la plage, il souffla en direction de l’île qui alors disparut complètement.
L’enfant fit plusieurs fois le tour de l’île, cherchant un moyen pour rejoindre la terre ferme. Un jour il aperçut des goélands et leur demanda de le ramener chez lui. Quelqu’un viendrait plus tard, dirent-ils, qui le conduirait là-bas. Il fit la même demande aux canards, puis aux loups-marins. Leurs réponses furent semblables à celle des goélands.
Une nuit, Ayashish rêva : son grand-père Uteshkanamentush le transportait de l’île jusqu’au continent. À son réveil il alla sur la pointe rocheuse qui formait l’extrémité de l’île. Ce matin-là le temps était tout ce qu’il y a de plus calme. Pas un souffle de vent. La mer était d’huile. Aucune ride n’en marquait la surface. Soudain il vit se former une ou deux vagues semblant venir vers lui. Et subitement, comme s’il arrivait du fond de mer, son grand-père Uteshkanamentush fit surface. Horrifié, Ayashish cria : « Uteshkanamentush vient vers moi ! » « C’est plutôt ton père le véritable Uteshkanamentush, répondit l’arrivant, n’est-ce pas lui qui t’a ainsi abandonné dans l’île ? Trouve une pierre plate et je te ramènerai à terre. » L’enfant ne mit pas beaucoup de temps à trouver une pierre du type de celle qu’on lui avait demandée. Uteshkanamentush l’invita ensuite à monter sur lui et à s’installer entre ses bois. Il lui recommanda aussi de bien surveiller le ciel en direction de l’ouest. « Si des nuages venaient à s’y former, tu risquerais d’être renversé dans la mer par le vent. » Ils venaient à peine de partir que d’énormes nuages se formèrent à l’ouest au-dessus de la mer. L’enfant en fit part à son grand-père, qui lui ordonna aussitôt de frapper ses bois à coups de pierre plate. Ayashish exécuta l’ordre, et ce fut alors comme s’il avait donné une puissante poussée à son grand-père. La vitesse de croisière d’Uteshkanamentush en fut décuplée. Au bout d’un moment il s’informa auprès de l’enfant pour savoir si la terre ferme était déjà en vue. Ayashish lui répondit qu’on pouvait effectivement deviner au loin la ligne de la côte. Son grand-père lui fit alors les recommandations suivantes : « Quand nous arriverons en eau peu profonde je provoquerai un remous en tournant subitement sur moi-même, faisant ainsi se retirer l’eau l’espace d’un instant. Tu en profiteras pour sauter sur le bout de plage temporairement à sec et courir vers le haut du rivage. Tu ne devras désormais plus chanter sans avoir d’abord lancé deux flèches, une vers le haut l’autre vers le bas. » Tout se passa tel que prévu et Ayashish se retrouva sur le rivage. Se tournant ensuite vers le large, il vit Uteshkanamentush regagner le fond de la mer d’où il était venu.
Rémi Savard, Contes indiens de la Basse Côte Nord du Saint-Laurent, 1979.
Sentier Quétachou
« Il y en a partout dans l’Archipel, sur les arbres, le sol, la roche. C’est quelque chose de mystérieux, une sorte de barbe grise ou verte qui pendouille des arbres, une espèce de croûte orange… Pour certains, c’est inquiétant. Quand on se fait poser la question, les gens sont un peu inquiets pour l’état de la forêt. “Est-ce normal qu’il y en ait autant ?” […] Il y a des études qui sont faites à propos des lichens. Ça continue d’être assez mystérieux du point de vue scientifique. Le lichen, c’est un assemblage. Depuis peut-être 150 ans, on dit qu’un lichen est un champignon et une algue qui vivent ensemble. Une espèce de champignon et une espèce d’algue qui cohabitent. Puis, récemment, une étude est sortie qui disait que c’était des espèces de champignons qui vivaient avec une sorte d’algue, qu’il n’y avait pas juste une espèce de champignon, mais plusieurs […]. Généralement, quand on nomme les lichens, c’est en lien avec l’espèce de champignon qui y vit, mais on n’est pas trop certain de l’espèce d’algue qui est à l’intérieur. On leur donne des noms d’espèce, il y a une classification. Les scientifiques aiment bien classifier tout ça et mettre ça dans des boîtes, mais dans le cas du lichen c’est un peu contre-productif parce que ce n’est pas un organisme. Alors c’est difficile de mettre ça dans une structure de classification comme pour les espèces animales. La classification, avec le lichen, ça ne tient pas. Sa structure même est assez impressionnante et inusitée. Ce qui est magnifique, c’est qu’il est autosuffisant. C’est un travail d’équipe où on utilise les forces des uns pour pallier les faiblesses de l’autre. C’est un peu comme une plante, dans le sens où le lichen produit sa propre nourriture. Il ne mange pas (comme l’animal), il prend la lumière du soleil. Les algues dans l’eau font ça, comme les plantes sur terre. Mais les algues ne peuvent pas survivre hors de l’eau. Puis les champignons ne font pas leur propre nourriture – ils dégradent de la matière morte (dans la plupart des cas) – et ils ne font pas de photosynthèse. Mais là, comme ils vivent avec une algue… L’algue ne peut pas vivre sur la terre ferme, mais une fois enveloppée dans un champignon, ça lui procure un milieu humide et le champignon lui apporte les nutriments dont elle a besoin. L’algue a son environnement protégé dans le champignon, puis elle a quand même accès à la lumière du soleil. Elle a de l’eau, des nutriments et du soleil, alors elle va fabriquer des sucres, qu’elle va échanger avec le champignon. Un lichen, c’est un champignon qui a découvert l’agriculture. Il s’assure de faire attention à son algue pour obtenir le sucre qu’elle produit.
Dans le monde végétal, et même animal, considérer un organisme comme étant vraiment un organisme seul n’est peut-être pas une bonne façon de voir les choses. Assurément, dans le monde végétal, il y a des interrelations. Les arbres sont associés à des champignons sous terre, avec lesquels ils travaillent. Des fois les racines de plusieurs arbres sont reliées entre elles et s’échangent des trucs, alors quand on dit que l’arbre fait ses affaires tout seul sans les autres, c’est peut-être une vision simpliste erronée ou appelée à évoluer. Il y a d’importantes interrelations qui passaient inaperçues avant, mais là on les découvre. On peut même l’associer à nous ça, un humain. On se promène et on ne trimbale pas juste de l’humain avec nous. On a plein de champignons et de bactéries qui nous permettent de vivre, qui nous influencent et qui ont des incidences assez importantes sur notre santé, notre comportement. Est-ce qu’on est juste humain ou aussi bactérien ? »
« Ici, le gouvernement fédéral a acquis les îles, mais c’est une réserve de parc national. Parcs Canada est fiduciaire des terres au nom des Premières Nations. Le jour où il y aura une entente, ça pourra devenir un parc national avec ses règles, mais avec des variantes qui vont tenir compte de la réalité autochtone. »
Père L. Garnier, Du cométique à l’avion. Les Pères Eudistes sur la Côte Nord (1903-1946), 1947.
« Deux frères de ma mère sont morts de faim dans le bois (à l’époque, tu partais au mois d’août et tu revenais au printemps, en avril – tu chassais tout l’hiver dans le bois), ils sont morts au nord de la Romaine, au lac Daudet. Je me suis toujours nourri de ces récits d’aventure. Le fait de vivre sur l’eau. C’est simple, la mer, mais si t’es pas prudent, si tu fais une connerie, ça pardonne pas. C’est brut, sans émotion. Tout le volet urgence, j’en ai fait plein, sans équipement. On n’avait pas les outils de la garde côtière parce qu’ils ne nous reconnaissaient pas ce rôle-là. Par exemple, un fusil lance-amarre, un récif, la mer casse dessus, le bateau est l’autre bord, le fusil tire un amarre pour aller le chercher – nous autres, on sautait à l’eau pour aller porter l’amarre. On pourrait dire que c’est irréfléchi; on avait la jeunesse pour compenser. Mais aussi un côté réfléchi, sur le comment faire. L’équipe avec qui je travaillais, souvent c’était même pas la peine de parler, le regard suffisait. J’ai plein de formations en fonction d’urgence en mer, d’officier de marine aussi. J’ai soixante ans et je fais encore de l’eau vive. »
Havre-Saint-Pierre, circa 1920, Collection Guy Côté
Du cométique à l’avion
« Le traîneau à chiens, le kometik, a fort probablement été introduit par les Inuits qui occupaient la côte du Labrador et qui fréquentaient le détroit de Belle Isle. […] Les Inuits vont descendre dans la région de Blanc-Sablon, Forteau, l’extrême sud du Labrador. Ces Inuits-là utilisent depuis toujours les traîneaux à chiens, alors quand la Basse-Côte se colonise d’Acadiens, de gens des Îles Jersey ou de Terre-Neuve, rapidement le traîneau à chiens va faire partie de leur quotidien hivernal. On a des témoignages extraordinaires de missionnaires qui ont œuvré dans les petits villages de la Basse-Côte; ils se plaignent de l’omniprésence des meutes de chiens qui jappent de midi à minuit. À l’époque, tout village a des centaines de chiens. L’hiver on en a absolument besoin, mais des fois l’été on en est tellement écœurés qu’on les déplace sur des îles pour les calmer ou pour se libérer. »
Nutashkuan, QC, Canada
Longue-Pointe-de-Mingan
Baie-Johan-Beetz
De la belle morue, Pointe aux Esquimaux, Collection Guy Côté, circa 1920
Havre-Saint-Pierre, QC, Canada
« Par exemple, en Islande, ils pêchaient le capelan avec d’immenses sennes, comme des sennes danoises, qui entouraient les bancs et ramassaient le capelan. D’habitude, une belle morue a un gros ventre. Ils se sont rendus compte que la morue était rendue maigre, allongée. Tout le monde est dans la même assiette. Ils ont réduit la pêche, et la morue est revenue correcte. Ils prennent peut-être exemple sur le Canada aussi. Ici, en 1970, il n’y avait plus de morue. Entre l’Île aux Perroquets et la côte : 1965, les premiers dragueurs de poissons, dragueurs de fonds; 1970, il y avait 35 dragueurs en même temps. Il y avait plus de lumières sur la mer qu’il y en avait dans le village. Les rues n’étaient pas électrifiées encore à l’époque. En 1971, plus une seule morue. »
Ekuanitshit, QC, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
Chantier hydroélectrique La Romaine
« En effet, certains chardons ont été mis en cage – ce qu’on appelle un exclos – pour éviter que les lièvres ne viennent les manger. Aussi, pour récolter les graines, pour favoriser l’ensemencement, on enveloppe la fleur avec un petit filet. »
Chantier hydroélectrique La Romaine
Canots et bimoteurs sur la piste aéroport militaire, Longue Pointe de Mingan 1946
Ekuanitshit. Carte postale, Éditions Sylvain Harvey. Photo : Serge Jauvin.
« Oui, je peux prendre le canot et aller sur l’eau à côté, mais pour faire un périple comme ça, faut s’organiser. Aller faire la Chamouchouane au nord du Lac-Saint-Jean, ça me prend une journée de route pour me rendre. Je suis pas tout seul, c’est avec d’autre monde. Ça reste des espaces pour penser, pour réfléchir. La rivière, quand tu fais du canot-camping comme ça, tu as de l’espace dans ton esprit. Quand le lieu se prête à ça, c’est encore mieux. Que ce soit le cri d’un huard qui te dérange, un chevreuil qui boit sur le bord de l’eau ou un castor qui placote à côté… Ça t’emmène ailleurs, tu sors de tes préoccupations quotidiennes. Y’a de l’espace. »
Ekuanitshit, QC, Canada
Havre-Saint-Pierre
« Le fameux bonnet traditionnel – j’aime le décrire comme néo-traditionnel, parce qu’on s’entend que ce sont des matériaux introduits par les Européens. Un bonnet en laine avec du perlage de perles produites dans des manufactures européennes. Ça fait partie d’un costume complet que certains associent au père Arnaud. Une version de l’histoire propose que le missionnaire oblat Charles Arnaud, qui venait de France, aurait introduit ce costume-là auprès des Innus. C’est-tu vrai, c’est-tu pas vrai, y’a des zones grises encore. Certains ont fait le parallèle entre ce costume et celui des Sámi, les Lapons de Finlande et de Suède. C’est vrai qu’il y a des ressemblances assez étonnantes. Chose certaine, ce n’est pas le véritable costume traditionnel innu. On s’entend que c’était des vêtements de cuir, des bottes en loup-marins, etc. Mais dans l’esprit des gens, c’est devenu ça le costume traditionnel. Et pour les Innus eux-mêmes. »
Baie-Johan-Beetz
Baie-Johan-Beetz
Havre-Saint-Pierre
Natashquan
Aux graines avec Théodule Giasson, Île du Havre, circa 1950
« Dans le temps on faisait des voyages avec tout un gros groupe, des familles qui allaient à Mingan pour rencontrer le prêtre qui venait pour faire un genre de missionnaire. C’était l’été, au mois d’août, juillet.
[C’était les barges des Blancs ou c’était vous autres ?]C’était nous autres. Y’en avait qui achetaient ça des Blancs, des pêcheurs de la Gaspésie qui ne voulaient plus de leurs barges. Y’en a qui amenaient leurs barges ici, pis quand ils avaient fini de pêcher, ils vendaient ça aux Indiens.
[Vous alliez là pour…?]Pour célébrer, pour rencontrer les parents. Il y en avait beaucoup qui se mariaient avec les gens de Mingan. On allait là une fois par année, l’été.
[C’était un voyage qui durait longtemps ?]Oui, on pouvait camper 2-3 fois en cours de route. Des fois on débarquait à Baie-Johan-Beetz pour acheter quelques provisions. Après ça on repartait, et quand on voyait des plages on campait là. On repartait le lendemain, on arrivait à Havre-Saint-Pierre, on achetait encore des provisions, après ça on arrivait à Mingan. Les petits bateaux, ils allaient pas vite. Il y avait un moteur. Y’avait une petite affaire de fermé à l’avant, quand y’avait des petits bébés on les mettait là pour les protéger du vent. Des parents amenaient tout le temps une sorte de toile; quand il pleuvait on pouvait faire un abri.
[Vous vous arrêtiez pas sur les îles de l’archipel quand vous faisiez ce voyage-là ?]Oui, on pouvait arrêter. On allait là souvent. Il restait à peu près une journée ou deux pour chasser les canards, les oiseaux migrateurs. On pouvait rester une journée ou deux. Y’en a qui arrangeaient leur poisson, leur gibier, puis ils amenaient ça à Mingan pour les amis là-bas. On partageait parce qu’il n’y avait pas de congélateurs. On faisait sécher la viande de loup-marin. On faisait de l’huile de loup-marin. Les mois d’hiver, on emportait de l’huile de loup-marin dans le bois; on mangeait ça avec des fruits. Tous les fruits proches qu’il y avait, on mettait de l’huile de loup-marin. Les chicoutées avec de l’huile de loup-marin. »
Sterne arctique
Photo : Parcs Canada/A. St-Germain
Au temps des canots sauvages, Pointe-aux-Esquimaux, circa 1925, Collection Guy Côté
Havre-Saint-Pierre
« Je me sens privilégiée de prendre le bateau tous les matins pour aller à mon lieu de travail, c’est incroyable, pas beaucoup de gens ont à faire ça dans leur vie. C’est quelque chose de fort que j’aime beaucoup. Si je devais prendre mon auto pour me rendre à l’île Quarry, ce ne serait pas la même chose, vraiment pas. Cette barrière physique qu’est la mer, qu’on doit franchir pour aller au travail… C’est une grosse logistique; c’est très compliqué le fait qu’on soit transportés par un bateau et qu’on ne puisse pas y aller par nos propres moyens. »
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Ekuanitshit, QC, Canada
« La prédation est un processus écologique prédominant dans les écosystèmes. S’il n’y avait pas de prédation, les écosystèmes seraient complètement déboussolés. D’ailleurs, quand on enlève le prédateur principal, on voit que ça a de gros impacts. Je vois la chasse comme une activité de prédation. Je suis allé chasser pour avoir ma viande pour l’hiver. Je ne vais pas à la chasse pour chasser, je vais à la chasse pour récolter de la viande. »
Pointe aux Esquimaux, Collection Guy Côté, circa 1920
Havre-Saint-Pierre, QC, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
Havre-Saint-Pierre
Les réseaux naissent de l’existence de lieux qui jouent le rôle de véritables nœuds. Les individus ou les groupes qui les ont investis sont dotés d’une volonté et d’un projet de transaction, donc d’un besoin de relation. Pour satisfaire ce dernier, ils recourent à un réseau territorial. Tous les noyaux de peuplement, du plus petit au plus grand, tous les lieux de production de biens ou de services, tous les lieux d’un pouvoir, aussi petit soit-il, apparaissent comme de tels nœuds. Le réseau est la construction matérielle ou immatérielle qui permet, en reliant ces nœuds, de rendre concrètement possibles les transactions souhaitées.
Annette Ciattonti et Yvette Veyret (dir.), Les fondamentaux de la géographie, 2013.
Havre-Saint-Pierre
Havre-Saint-Pierre
Rivière-au-Tonnerre
Longue-Pointe-de-Mingan
« Autrefois, le Blanc vivait de la mer. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : il vit du bois. On a tassé les Indiens au bord de la mer. Il n’y a plus d’Indiens dans le bois. Si on meurt, nous autres […], il n’y a plus personne qui va aller à l’intérieur des terres. Les sentiers qu’il y avait avant sont tous enterrés, puis les souches des arbres que les chasseurs avaient coupés, on ne les voit plus. Lorsque nous autres, nous serons morts, elle sera complètement disparue cette culture-là. »
Pierre Courtois, témoignage issu du film La conquête de l’Amérique par Arthur Lamothe, ONF, 1992.
Baie-Johan-Beetz
Baie-Johan-Beetz
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Couteau croche de fabrication innue, c. 1940.
Musée régional de la Côte-Nord 1979.26
Collection P. Provencher
Baie-Johan-Beetz
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
« De un, il n’y avait pas d’argent pour en acheter, mais de deux, quand il n’y en avait plus à la boutique, des souliers y’en avait plus. Au magasin général, il y en avait trois paires de telle pointure. Même si t’avais les sous, t’allais pas sur Internet pour en acheter. Ils se limitaient parce qu’ils n’avaient pas beaucoup de sous, mais ils se limitaient aussi parce que les choses n’étaient pas toujours disponibles sur place à Aguanish parce qu’il n’y avait pas la route. Quand le bateau arrivait, souvent beaucoup d’affaires étaient vendues directement dans les jours qui suivaient. […] Le fameux catalogue Sears, ça a sauvé dans les années 1990 ! Même après la route, en 1996, par habitude les gens n’allaient pas à Havre-Saint-Pierre – et même à Havre Saint-Pierre on ne trouvait pas tout – ils n’allaient pas à Sept-Îles, se taper quatre, cinq heures de route pour s’acheter une paire de bobettes, des bas ou des jeans. Sears a vendu beaucoup d’articles dans les villages de la Basse-Côte, ça c’est sûr. »
Havre-Saint-Pierre
Havre-Saint-Pierre
Baie-Johan-Beetz
Havre-Saint-Pierre
Cette idée de transformation entretient peut-être quelque lien avec la pensée innue telle qu’exprimée à travers la langue. On sait que le lexique est constitué d’au moins 70 % d’éléments verbaux et qu’ainsi, les événements sont plus interprétés en fonction d’actions qu’en fonction d’objets. Par exemple, il n’existe pas dans le vocabulaire répertorié un terme équivalent à celui de « bourgeon »; il existe par contre un verbe – uâpukunîu – exprimant la transformation en fleur : littéralement, ‘cela devient une fleur’. Dans la même veine, il est également possible dans la langue innue d’énoncer les idées suivantes : à partir de nîpîsh (feuille) : nîpîshîu (‘cela devient une feuille’), et à partir de tshishtâpâkuan (branche) : tshishtâpâkunîu (‘cela devient une branche’).
Daniel Clément, La terre qui pousse. L’ethnobotanique innue d’Ekuanitshit, 2014.
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
« Un principe de base tout simple : une vague est une onde. Quand la vague déferle, l’onde s’en vient et ton profil de côte monte. Le bas de l’onde frappe, ça donne un coup de recul et c’est elle qui va se cambrer, qui va se mettre à rouler. Y’a des vagues de deux à trois mètres sur le territoire. Ça fait partie de la normalité. À marée basse, le quai touchait les roches dans le fonds – penses-tu que ça va résister ? Un mètre cube d’eau verte (l’eau qui déferle est blanche, mêlée à l’air en différente densité), c’est 32 tonnes par mètre carré. Si t’es debout et que je t’envoie un mètre cube d’eau, t’en fais pas, tu vas partir. T’as beau mettre le gros tuyau que tu voudras, il va arracher. Tu te bats contre quelque chose de bien trop puissant. Quand la vague arrive, y’en a plein d’autres en arrière, c’est constant. Si tu veux faire tenir une structure de façon plus permanente, mets-la où il y a de la profondeur, où elle ne sera pas affectée par les coups de massue qu’elle va recevoir. Faut pas que ça déferle dessus. […] Mais on s’entête. »
Réserve de parc national de l’Archipel-de-Mingan
Havre-Saint-Pierre
Havre-Saint-Pierre
« Comme on disait à une certaine époque, pour être un homme fallait se marier ou savoir comment faire ton nœud de cravate… Ici, si tu sais pas comment fonctionne un canot à moteur, si t’as pas de quatre-roues, tu peux déjà être catégorisé comme un culturel, un intellectuel. Avec ça, la chasse s’est perpétuée beaucoup. Le chalet est pour le loisir, mais aussi pour se ramener un trophée, du gibier. C’est aussi avoir un point d’entrée sur le territoire, un point d’horizon, un point de connaissance sur le territoire. »
Baie-Johan-Beetz
Innushkueu utaitapastauna
École Uauitshitun, Nutashkuan
École Uauitshitun, Nutashkuan, QC, Canada
« Il fallait pas oublier son couteau d’Ali Baba. Il n’y en a plus des couteaux comme ça. À Kegaska, des fois ils ont des affaires qu’ils n’ont plus ailleurs. Moi, j’ai pris ça à Schefferville. Je l’arrange avec ma lime, puis avec mon chaudron noir, pour l’amincir, pour adoucir, comme ça sur le bord. C’est pour ça que j’ai ma lime tout le temps dans mon sac. Des affaires d’utilité. Quand je vais dans le bois, je mets ma hache là-dedans. Si ma hache coupe pas, je passe avec ma lime. Le couteau, je m’en sers aussi pour couper le bois. Quand je vais faire ma petite tente, je vais tout aiguiser mon bois avec ça. Puis avec un tronc d’arbre, je vais les couper, je vais m’en servir comme une hache. »
École Uauitshitun, Nutashkuan, QC, Canada
École Uauitshitun, Nutashkuan, QC, Canada
« Les grands-pères prenaient une lime, et avec le poinçon, un morceau de fer […] – et avec une autre lime, ils faisaient la pointe; ils prenaient du bois qu’ils fendaient avec une scie, soit une scie à fer, et ils mettaient la chaîne comme ça. Après avoir fait une pointure, ils mettaient ça entre les deux et attachaient ça avec soit le cuir, le cuir solide. Après ça, ils pouvaient travailler.
Mon grand-père, avec le modernisme, il a fait un trou dans ça et il a pris une sorte de pince qu’il a mise en pointe; il l’a mis dedans avec de la colle. Pour faire des trous, supposons dans le cuir, t’as besoin de faire des lanières; tu veux attacher tes mocassins, tu fais un trou comme ça. Tu veux avoir ta lanière, tu mets ta corde là-dedans – supposons que tu veux avoir une lanière pour attacher ton sac après un poteau, tu mets comme ça, tu l’accroches après une branche, c’était à ça que servait le poinçon. Les anciens ont l’air de fonctionner mieux que les modernes. »
École Uauitshitun, Nutashkuan, QC, Canada
Nutashkuan, QC, Canada
Nutashkuan, QC, Canada
Nutashkuan, QC, Canada
Nutashkuan, QC, Canada
Nutashkuan, QC, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
Judith Mestokosho (dir.), Akua-Nutin. Nutshimiu-aimuna, Les Éditions Tshakapesh.
« La gibecière – encore là des motifs traditionnels, si on veut, une fonction traditionnelle –, c’était pour mettre le petit gibier, les perdrix ou les lièvres, quand on allait à la petite chasse. Mais elle est faite en toile. La fameuse toile coton écru canevas d’importation européenne. C’est la compagnie de la Baie d’Hudson qui a introduit l’usage de la toile auprès des Innus, fin des années 1800. La toile va servir aux vêtements, aux gibecières, aux tentes de prospecteurs qui elles aussi font maintenant partie de la tradition plus récente. […] Un bel exemple qu’on aurait pu ajouter, c’est le canot. Le véritable canot traditionnel innu était fait de boulot, des membrures et un recouvrement. Quand la toile fait son apparition, ils se mettent assez rapidement à l’utiliser pour façonner des canots de toile. »
MM. Mathieu Mestokosho et Damien Napish terminant le canot de toile qui les conduira bientôt en forêt pour la prochaine saison de chasse, Mingan, été 1951.
Musée régional de la Côte-Nord 1994.52
Fonds P. Laurin
Ekuanitshit, QC, Canada
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Réserve de Parc National de l’Archipel-de-Mingan, QC, Canada
Au temps de la grave, Pointe aux Esquimaux, Collection Guy Côté, circa 1920
Havre-Saint-Pierre, QC, Canada
Thé du Labrador
Photo : Parcs Canada/N. Dénommée
« Si je vous parle des tartes aux œufs, ces œufs de gibier, une caisse d’œufs que ma mère recevait sur le bateau parce que, pour elle, c’était valorisant de manger des œufs de marmette [Uria aalge] ou de tel autre oiseau marin. Ça ne se vendait pas au magasin. L’œuf avait telle forme, le jaune était rouge, l’œuf n’avait pas tout à fait le même goût, on le cuisinait de telle façon, ça faisait partie de nos cultures. Dans nos livres de recette, y’a des recettes de tartes aux œufs, mais faut lire entre les lignes que ces œufs étaient des œufs de gibier, des œufs d’eider, etc. Ça n’avait pas le même goût ni la même couleur. C’est comme manger de la morue salée ou du bœuf salé, des choses liées à des anciennes façons de conserver la nourriture parce qu’on n’avait pas de réfrigération. On a beau vivre dans le Nord, on n’avait pas de congélateur ou de frigidaire avant telle époque. On salait les choses : les choux, les feuilles de navet (nos genres d’épinards)… Ça fait encore partie des gens de manger de la morue séchée, on va la dessaler, on va manger du bœuf salé. C’est pas des gens d’ici qui mettent ça en saumure, c’est des gens d’ailleurs qui le font pour nous autres. Y’en vendent juste ici. Ça vient de Rimouski, ça vient du Bas-St-Laurent, ça vient d’ailleurs. Y’a des pratiques comme ça qui font partie du terroir alimentaire. À une certaine époque, y’avait telle partie du poisson qui se mangeait et qui se mange plus aujourd’hui, comme des bajoues de flétan, des parties de morue avec lesquelles on faisait tel genre de ragoût, etc. Vous verrez pas ça dans les restaurants ! »
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Longue-Pointe-de-Mingan, QC G0G 1V0, Canada
« À partir du moment où les grands navires à voiles immenses s’approchent des côtes, c’est l’équivalent pour nous autres de voir une soucoupe volante atterrir sur un terrain de soccer. Avec tout ce que ça comprend de choc culturel, d’appréhension, mais aussi de convoitise. On voit des matériaux qu’on n’a jamais vus. Les Autochtones vont vite comprendre qu’eux aussi ont des ressources qui intéressent tout autant ces Européens-là; on parle de fourrure surtout. C’est pas vrai qu’ils vont devenir de naïfs commerçants qui se font avoir à tour de bras. Les Français, les Basques venaient les rejoindre, mais les commerçants innus savaient très bien que si le premier bateau arrivé n’offrait pas une récompense satisfaisante pour les fourrures proposées, il y en aurait un autre, puis un troisième, qui un cinquième, etc. Donc ils avaient le gros bout du bâton. Ils étaient de fins négociateurs, et il ne faut pas oublier que les Européens qui s’introduisent dans ce commerce-là, s’ajoutent à une longue liste de joueurs. Les Innus échangeaient avec les Micmacs, les Algonquins, les Cris, les Hurons, les Iroquoiens de Saint-Laurent, et j’en passe. La tradition du négoce est ancrée depuis très longtemps chez ces populations. »
Ekuanitshit, QC, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
Longue-Pointe-de-Mingan, QC G0G 1V0, Canada
« La table était mise : on allait au combat. On essayait au maximum de représenter les préoccupations du milieu en un seul document. Le droit de camper, d’aller chercher du gravier, toutes des affaires de base très simples… La graisse à mouches (chasse-moustiques), avant que ce soit connu comme aujourd’hui, je me demande à quel point il y en avait. Quand il y avait trop de mouches, tout le monde s’en allait camper sur l’Île Nue. Le droit de maintenir ces droits-là. D’aller cueillir des petits fruits sur les îles, ramasser des algues, ramasser du gravier. Y’avait pas de carrière, alors quand on a besoin de gravier, est-ce qu’on peut aller chercher notre poche de gravier pour tout et pour rien ? Des affaires de base comme ça. L’accès aux îles : allez-vous nous interdire, nous faire payer pour aller sur nos îles ? »
Rivière Romaine, QC, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
« Quand tu peux voir loin, tu t’orientes dans ta journée pas selon ta montre, mais selon la position du soleil dans le ciel. Tu peux t’imaginer debout sur une planète ronde; j’aime ça cette perspective-là. »
Longue-Pointe-de-Mingan, QC G0G 1V0, Canada
Ekuanitshit, QC, Canada
« Les cormorandières établies dans les îles (Île aux Bouleaux, Île Sainte-Geneviève) […], on pense que c’est un phénomène assez récent, début du 20e siècle. Les cormorans utilisaient de petits îlots dégagés, mais ils ont été chassés par les pêcheurs parce qu’ils se battent pour la même ressource, le poisson. Les cormorans ont été dérangés, ils se sont alors installés massivement dans les îles. Mais la fiente de cormoran, au bout d’un moment, détruit ce qu’il y a au sol, acidifie le sol, et on se retrouve avec des aires ouvertes d’arbres morts – plus de forêt, des arbustes, une végétation très différente. C’est un processus qu’on suit parce qu’il n’aurait pas nécessairement lieu dans la dynamique naturelle sans l’activité humaine.
Le suivi de la pollution marine par déversement d’hydrocarbures, ça c’est direct. On sait que la cause est un bateau échoué, une marre d’hydrocarbures. On fait le suivi des effets et de l’impact que ça a eu, ça c’est simple. Par contre, les cormorandières, par exemple, demandent des études paléoécologiques. Une étudiante au doctorat a fait une étude sur la présence de ces cormorandières. Elle a réalisé des sondages dans le sol à différents endroits actuellement ou potentiellement utilisés [par les cormorans] pour voir si ça existait déjà dans le passé. Apparemment, c’est un phénomène nouveau venu avec l’émergence de la pêche sur la Côte-Nord. On essaie toujours de déterminer si c’est causé par l’humain (activité anthropique) ou par une dynamique naturelle (auquel cas on ne peut pas réagir vraiment). Changements climatiques, c’est pareil. On peut se positionner : oui, les températures augmentent, il y a de plus en plus de tempêtes, un moins gros couvert de glace protège les îles… On ne peut pas y faire grand chose, on peut juste le documenter. »
Baie-Johan-Beetz, QC, Canada
Nutashkuan, QC, Canada
« Pristine : le paysage en bateau vers Quarry, le soleil reflété dans l’eau, les vagues qui brillent, les plages, la couleur du sable gris… C’est presque comme un tableau, comme si quelqu’un avait peint les conifères, les boulots jaunes, le ciel bleu. »
« Les échanges entre mer et terre viennent principalement des oiseaux marins qui nichent sur les îles. Ils se nourrissent de poissons et de gammares sur le littoral, puis amènent leurs excréments sur les îles, ce qui est un gros apport de nutriments qui a un effet sur le milieu côtier, terrestre. Il y a toujours un échange. Un apport de nutriments sur la côte qu’il n’y aurait pas normalement, sans cette nidification sur les îles. »
Carte postale, Bicentenaire des Acadiens
Collection Aimé Jomphe
Havre Saint-Pierre, Québec, Canada
Collection Aimé Jomphe
Havre Saint-Pierre, Québec, Canada